La langue française en pleine évolution

Mercredi, 06 Avril 2016 09:48 Erofa Débats
Imprimer

Joëlle Smets

sur le site du journal Le soir (Belgique) le 04 avril 2016

Langue vivante, le français ne cesse d’évoluer. En Belgique, c’est le Conseil de la langue française et de la politique linguistique qui est la référence en la matière et émet des recommandations relatives aux usages publics du français.

La Liberté guidant le peuple, de Eugène Delacroix
La Liberté guidant le peuple, de Eugène Delacroix

Un accent circonflexe supprimé dans les nouveaux manuels scolaires et la France a crié au scandale ! Nénufar écrit sans son “ph ” dans les livres d’école, ognon sans son “i ” et la France a cru imploser. On touchait à son patrimoine, à son identité, à son être même. La décadence menaçait l’Hexagone. La Belgique partagea la même indignation et se laissa emporter par cette fièvre orthographique, oubliant que depuis 1990, elle a accepté les nouvelles règles de graphie élaborées par le Conseil supérieur de la Langue française. Il est vrai que ces normes se heurtèrent et se heurtent encore à un certain immobilisme. Régulièrement, des circulaires ministérielles rappellent aux écoles qu’il convient d’enseigner en priorité la nouvelle orthographe mais sans l’imposer; l’ancienne et la nouvelle orthographe étant toutes deux admises. Périodiquement, des dépliants sont distribués aux établissements scolaires, administrations et institutions pour inciter à l’emploi des règles simplifiées du français mais la plupart préfèrent encore et toujours appliquer les anciennes orthographes alors que les rectifications sont aussi modérées que ponctuelles et que souvent, elles cautionnent des usages attestés. « Le français est une langue vivante ; il ne peut qu’évoluer au fil du temps. Il ne faut pas oublier qu’une langue n’est pas “fabriquée ” par des académiciens ou des grammairiens, mais qu’elle existe de par les personnes qui l’utilisent : celles-ci ont toujours le dernier mot », explique Michel Francard, linguiste et professeur à l’UCL. « Le français d’aujourd’hui n’est pas celui que l’on parlait autrefois. L’orthographe change, comme la prononciation, le lexique et la grammaire. Quelques exemples : aujourd’hui, dans le langage courant, on utilise de plus en plus le subjonctif avec la locution conjonctive “après que ” alors que la norme prescrit l’emploi de l’indicatif. Cet usage se répand comme celui d’écrire “aucun frais “, alors que le pluriel “aucuns frais ” est recommandé. La prononciation évolue également au fil des siècles. Au XVIe, en français populaire, sont apparues des formes comme “mon pèze ”, “ma mèze ”, au lieu de “mon père ”, “ma mère ”. C’est d’ailleurs de là que provient notre “chaise ”, dérivant de “chaire ”. Aujourd’hui de plus en plus de francophones prononcent le “in ” (comme dans “brin ”) “un ” de “brun ”. »

Le Conseil de la langue française, organe essentiel en Belgique

Les changements de langue sont tantôt lents et imperceptibles en ce qui concerne la grammaire, tantôt rapides et spectaculaires pour ce qui est du lexique, avec l’apparition de nombreux nouveaux mots tels que “selfie ”, ou “ubérisation ” pour ne citer qu’eux. Mais souvent, quand les modifications sont officialisées, elles provoquent des tollés. Face aux récentes passions déchaînées en France et en Belgique à propos de la nouvelle orthographe, Joëlle Milquet, ministre de l’Éducation en Fédération Wallonie-Bruxelles, a décidé de réunir fin avril un groupe de travail “français lecture ” qui réfléchira à l’enseignement de la grammaire, du lexique et de l’orthographe dans nos écoles. Mais en Belgique, ce n’est pas le pouvoir politique qui fait figure de référence en la matière, mais bien le Conseil de la langue française et de la politique linguistique. « Ce conseil a un pouvoir d’avis sur ce qui concerne les usages publics de langue française, même s’il n’impose rien », estime Michel Francard. « C’est le politique qui se charge de l’exécution de ces avis ». Installé en septembre 2007 en lieu et place de l’ancien Conseil supérieur de la langue française, il a différentes missions. Il donne son avis sur toutes les questions relatives à la politique linguistique en Communauté française et à la francophonie, autant en Communauté française de Belgique que sur le plan international. Il donne encore son avis sur l’évolution de la situation linguistique et la place de la langue française par rapport aux autres langues pratiquées en Communauté française. Enfin il donne son avis sur l’évolution de l’usage de la langue et son enrichissement. Dernier point : il propose des actions de sensibilisation. En ce qui concerne la “nouvelle orthographe ”, dans un communiqué d’avril 2008, le Conseil donnait déjà son opinion et estimait que les rectifications orthographiques étaient positives car elles suppriment judicieusement certaines de ces irrégularités et constituent un premier pas précieux dans la voie d’une mise à jour de l’orthographe française, en retard sur celle des langues voisines. Le Conseil est conscient des mille et une irrégularités du français qui rendent son apprentissage laborieux et contribuent à lui donner une image de langue inutilement difficile, que cela soit pour ceux dont elle est la langue maternelle comme pour les étrangers. Si l’on veut que la langue française continue d’exister dans le monde, sans doute faudrait-il veiller à la simplifier. «Simplifier l’orthographe est essentiel pour l’avenir de notre langue », insiste Michel Francard. « L’orthographe du français répond aujourd’hui à des logiques différentes qui, par leur combinaison, produisent des graphies peu cohérentes. D’où la nécessité d’une refonte fondamentale, plus ambitieuse que les “rectifications ” apportées jusqu’ici – même si celles-ci ont le mérite de montrer que l’orthographe n’est pas intangible. Cette réforme radicale s’avérera indispensable à moyen terme, non pas pour les francophones “natifs ”, mais pour les personnes qui souhaitent acquérir notre langue. Par rapport à l’espagnol, dont l’orthographe est moins encombrée de “fioritures ” étymologiques, la graphie du français ne doit-elle pas évoluer? Ne devons-nous pas considérer les évolutions en cours dans une langue comme l’allemand, qui réduit la complexité de son orthographe ? Dans le “marché linguistique ” mondial, comment le français va-t-il conquérir de nouveaux publics s’il se présente comme une langue excessivement complexe ? Il y a aujourd’hui plus de francophones qui ont adopté le français que de francophones natifs : cette situation, que connaît également l’anglais, doit nous faire réfléchir aux mesures à prendre pour pérenniser son usage, notamment en Afrique. Et il y a peu de chance que la complexité des règles d’accord des participes passés nous soit utile dans ce contexte… »

Infos

www.francophonie.org/Langue-Francaise-2014/

Michel Francard tient une chronique dans “Le Soir ” intitulée “Vous avez de ces mots : www.lesoir.be/mots

Mise à jour le Mercredi, 06 Avril 2016 09:53